[critique] « Évanouis » (2025)

Dans le fabuleux monde de l’épouvante, qui dit mioches dit forcément méfiance. On ne cite plus les classiques et les navets ayant outrancièrement pervertis nos repères moraux en nous exhibant des enfants manipulateurs, possédés, voire meurtriers — et pourquoi pas tout ça à la fois. En suivant les causes et les conséquences d’une nuit au cours de laquelle dix-sept enfants issus de la même classe disparaissent mystérieusement, « Évanouis », écrit et réalisé par Zach Cregger, va s’atteler à démanteler, à entrelacer les récits en nous faisant suivre une par une les trajectoires de ses protagonistes, chacun attribuant son prénom à un chapitre. Et c’est dans cette abondance de narrations et d’effets (voix-off, effet-Rashōmon, flashback…) que le film trouve aussi bien ses forces que ses faiblesses. Parce que s’il dispose d’une certaine habilité à constituer son puzzle dramaturgique, il s’essouffle dès qu’il joue carte sur table. Là où, probablement, un James Wan se serait délicieusement dirigé vers la bouffonnerie, là où un M. Night Shyamalan aurait cultivé notre appétit pour la surprise, Cregger joue un peu sur les deux tableaux sans en compléter aucun. Il a l’air d’un Faust falsifiant sa propre signature, penchant vers une épouvante ramollie au profit de l’expansion des enjeux dramatiques. Par exemple, le film prend le parti de se dérouler quasi uniquement du point de vue des adultes, revendiquant un attrait pour la rationalité, mais il n’hésite pas, aussi, à se livrer à un esprit drôle et granguignolesque à travers des apparitions démoniaques qu’on croirait sorties d’un imaginaire digne de Junji Itō ! Si l’ensemble des séquences sont réussies et réalisées avec professionnalisme, le mystère qui pouvait émaner de l’élément déclencheur se laisse quant à lui ébouillanter dans une flaque de sang stagnante, le film avertissant rapidement le spectateur de la nature ensorcelante de la menace. Et une fois celle-ci dévoilée, « Évanouis » va continuer à laisser parader ses sous-entendus inquiétants et des secrets qu’il n’a plus, ne stimulant qu’au strict minimum notre curiosité.

Ce qui est le plus gênant, c’est le flou entretenu autour des intentions des personnages, lesquels faussent nos attentes en se cantonnant à dire et faire strictement ce que nous attendons d’eux. Et Cregger se montre fréquemment explicite, notamment via les dialogues : il ne filme pas des adultes, mais d’anciens enfants blessés, qui ont atterri dans des boulots qu’ils n’aiment pas, qui sont déprimés, seuls, boivent, se droguent, se laissent battre. Le film pourrait toucher avec cet argument, mais finalement, à montrer autant de cicatrices, il est presque malencontreux d’en ouvrir aucune. On sent là le désir profond de nous emmener dans la cave, de nous enfoncer dans l’obscurité et l’obscurantisme, mais finalement on reste dans ce salon où on voit trop clair dans le noir. De pair, le film contient du mystère, mais privilégie la clarification à la révélation. Cela donne irrémédiablement un récit où les éléments s’accordent mal, où l’élan mystique introduisant la disparition des enfants ne peut fonctionner sous le coup de la sophistication étouffante du scénario. Et si tout ça c’est aussi pour faire ouvertement écho aux attentats touchant le milieu scolaire étasuniens, cette histoire farfelue aura donc au moins le mérite de savoir surfer sur l’eau trouble, à défaut d’y plonger. C’est comme si la terreur ne faisait pas partie du jeu de Cregger, et pour un film d’horreur prenant comme élément déclencheur la disparition d’enfants, « Évanouis » manque clairement de cette excitation, de cette féerie du suspens, de lâcher prise. Tout le mystère, tout le charme de l’idée initiale, se met alors à tourner à vide dans ce récit réticulaire faisant preuve d’une méticulosité bien trop prononcée pour ce qu’il propose.

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