Après s’être rencontrés il y a quelques années à la Filmothèque du Quartier Latin, ces trois jeunes cinéphiles, Yves Kachan, Aurélien Dupard et Lilou Parente, viennent tout juste de monter leur maison de distribution de films, sibyllinement nommée Contre-Jour. Après avoir inauguré leur première ressortie le 12 Mars 2025 avec « Ucho » de Karel Kachyna, classique censuré de la nouvelle-vague tchécoslovaque, le trio revient aux salles obscures avec le documentaire iranien « My Stolen Planet » de Farahnaz Sharifi, sorti le 25 Juin 2025. Et c’est entre canicule et verres de pastis que s’est décidé l’entretien à suivre :
Sans Direction Fixe : Pour être précis, Contre-Jour fêtera bientôt ses un an, ou les a déjà fêté ?
Yves Kachan : D’un point de vue juridique, Contre-Jour est née le 1er Aout 2024. Mais ce qu’on préfère évoquer, c’est le jour de notre première sortie, « Ucho », le 12 Mars 2025. Un film de 1970, que personne n’avait vu avant… Il est passé au Festival de Cannes après la chute du Mur de Berlin, mais il n’était jamais sorti.
Aurélien Dupard : En parlant de Cannes, c’est un peu comme « M.A.S.H » de Robert Altman, qui parle de la Guerre de Corée sans employer aucun repère poussant le spectateur à se dire que c’est la Guerre de Corée. Kachyna a fait la même chose avec « Ucho » : il désoriente volontairement son spectateur afin de dénoncer un fait marquant de son époque. La première version du film avait un carton introductif précisant que l’action se déroulait peu après le coup d’état soviétique de 1948. Quand le film a été diffusé à Cannes en 1990, après vingt ans de censure, ce carton a été retiré, comme s’il y avait là l’ambition de rendre l’action du film possible à toutes les époques.
SDF : Pourquoi ce nom, Contre-Jour ? Pourquoi pas Fondu au Noir ?
YK : Le procédé du Contre-Jour est très cinématographique. Après, honnêtement, ça a été dur de choisir, mais on a pris ce nom parce que ça sonnait bien.
AD : On a vite compris que le secteur de la distribution est compliqué, pour y avoir fait de nombreux stages, des formations, pour y avoir travaillé. Puis on s’est retrouvé à la Filmothèque, alors on s’est dit que ça pourrait être intéressant de travailler pour nous-même. Notre catalogue évolue rapidement, et qu’importe les questions d’argent, on sent qu’on est en train de créer quelque chose d’important.
Lilou Parente : On organisait déjà des séances avant, où on animait des ciné-clubs. Et pour une séance, des fois, c’est frustrant. On se dit forcément que le film est tellement merveilleux qu’il mériterait d’être plus largement diffusé en salle. Il y a tout un travail pour retrouver le film, numériser la copie… Forcément, au bout d’un moment, on a envie que plus de gens le voit, et qu’il puisse bénéficier d’une vraie sortie.
SDF : On dit souvent que le marché de films patrimoniaux est saturé, qu’en pensez-vous ?
YK : Ce n’est pas un marché saturé. Des films, il y en a pleins. Cependant, son circuit est assez étroit. Et le public est particulier, exigeant et sélectif. Mais je ne dirais pas qu’il est saturé. La preuve, il y avait un chouillat de place pour nous.
LP : La sortie nationale ça compte moins, et donc pour nous il y a de la place. Ce que nous proposons, ce sont des films de mémoire, qui vivront sur le long-terme, et c’est ça qui nous intéresse. Pour les films contemporains, tout le monde demande sans arrêt les chiffres de la sortie nationale, combien d’entrées, de salles ?… Nous, on n’a pas ce stresse ou cette obligation de répondre, et la plupart de nos spectateurs viennent assister aux séances accompagnées d’une intervention.
YK : En précisant que les programmateurs, partout en France, font un travail remarquable. Ce n’est pas parce que le programmateur est issu d’une petite ville qu’il ne va pas chercher la pépite. On met souvent programmateur et distributeur en concurrence, mais c’est quand il y a une volonté de montrer que ça marche qu’on est le mieux.
AD : Les programmateurs des petites villes sont aussi ceux qui prennent le plus de risques. Ici, dans le Quartier Latin, il n’y a rien a faire puisqu’à partir du moment où le film est là, le public vient tout seul. Dans une petite ville, il faut faire un travail énorme pour faire venir les gens en leur vendant un film de patrimoine.
SDF : Comment voyez-vous votre exposition en salle ?
YK : Aujourd’hui, c’est difficile à dire. On a de la chance d’être en France, où le Ministère de la Culture est d’une grande aide, et où le système permet la distribution et la valorisation de film patrimoniaux et mieux encore, de films undergrounds. Nos films ont assez peu d’exposition, et c’est pour ça que c’est important pour nous de les contextualiser, de les expliquer, rendre la place du citoyen au spectateur. C’est ce pourquoi on invite régulièrement à nos séances des chercheurs, en essayant d’engager une conversation qui permet le débat. On ne dit pas aux gens de venir voir nos films parce que ce sont des chefs-d’œuvre, mais plutôt venez le voir pour en parler !

« My Stolen Planet » de Farahnaz Sharifi, actuellement en salle.
En couverture : « Ucho » de Karel Kachyna.
Site officiel de Contre-Jour —> ICI

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