[critique] « Enzo » (2025)

Dès son introduction, « Enzo » s’affirme comme « un film de Laurent Cantet, réalisé par Robin Campillo », le premier étant décédé d’un cancer il y a un peu moins d’un an, c’est le second qui a donc repris le flambeau. Et malgré sa cohérence avec l’œuvre de Campillo, ce chant du cygne porte pleinement la signature de Laurent Cantet, faisant figurer çà et là les motifs habituels du cinéaste tout en traitant de son thème de prédilection, à savoir celle d’une individualité ne se sentant pas à sa place. Ainsi, dès ses crédits introductifs, « Enzo » est forcément un film émouvant, et cette émotion prend toute sa candeur lorsqu’on sait qu’à l’instar de son personnage éponyme, le réalisateur du film aurait sans doute mieux aimé ne pas occuper cette place. Le film traite d’un jeune homme de seize ans, issu d’une famille bourgeoise de La Ciota et qui, malgré son cadre de vie confortable, passe ses journées sur des chantiers en tant qu’apprenti maçon. Un choix de vie que ne comprend ni sa famille si ses collègues, dont Vlad, un ouvrier ukrainien flippé par l’appel de la guerre, et avec lequel il va nouer une proximité troublante.

Le film est peuplé d’une délicatesse rayonnante. Les gestes des personnages, leurs regards, la lumière, les sons… Tout y est pétri de douceur laquelle pourrait rapidement paraitre m’as-tu-vu tant elle est aguicheuse. On se languit dans ce film serein qui ne fait pourtant pas grand-chose d’autre que narrer le mal-être de son protagoniste, tirant parfois sur l’ambulance à coup d’effets narratifs grossiers, tel un fusil de Tchekov prenant la forme d’un flingue en plastique absolument dispensable. Aussi, il y a là une certaine beauté académique dans la façon de filmer les travailleurs, les gestes, de traiter de l’importance des mains et du toucher, de la beauté consistant à ne rien faire. Cependant, le film navigue le cul entre deux chaises, faisant entrer en collision des éléments opposés. Il y a des séquences de rêveries relevant quasiment du spleen, et d’autres faisant directement écho au réel avec de multiples références à la Guerre Russo-Ukrainienne.  Il y a le talent inné d’Enzo pour le dessin, et son attrait professionnel pour la maçonnerie. Et bien sûr hétéro et homosexualité pesant dans les relations du jeune homme. Dans cet alliage la mise en scène se faufile de façon inégale, se mettant pleinement dans le point de son protagoniste pour ensuite extérioriser notre regard sur lui à travers des séquences — encore une fois — dispensables, comme une scène où l’on voit ses parents parler de lui à leurs amis. « Enzo » martèle son message, et aussi touchant soit-il, le film aurait sans doute frappé bien plus fort en se glissant dans l’implicite plutôt qu’en faisant montre d’une ennuyeuse précision donnant au spectateur un regard frisant le paternalisme. Au moins, le film a le mérite d’être honnête lorsqu’il finit par nous hurler dessus que les problèmes de ce môme ne sont rien d’autres que des tourments de bourgeois. Ça fait un peu penser au « Hauts des Hurlevent », dans cette manière de transcrire des problèmes fabriqués par un statut social. De même, le film parait forcément fabriqué, voire démonstratif dans sa dramaturgie, et ce malgré le fait qu’il aborde des faits peu traités au cinéma, tels que la récente accessibilité des images de guerre qui affluent sur les réseaux sociaux, et avec lesquelles les jeunes peuvent s’angoisser à longueur de journée. Aussi, le film a une dimension bien touchante dans sa façon de mettre en scène la relation entre Enzo et Vlad. Ce premier qui se donne à lui-même des tourments par manque d’imagination et/ou d’ambition, et l’autre sur lequel pèse le poids des tranchées qui se rapprochent. La scène finale, par ailleurs, laisse paraitre un double hors-champ : Enzo qui se cache derrière un mur afin d’écouter Vlad qui l’appelle depuis le front avec en fond sonore le bruit des bombes. Voilà une belle conclusion a un drame qui aurait gagné à être plus discret dans ses intentions.

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