Une odyssée sensorielle et onirique. [pour]
Résurrection se compose de six chapitres distincts, chacun évoquant un sens humain et adoptant un style cinématographique différent. Le film mêle des influences allant du cinéma muet expressionniste allemand à des séquences de polar et de science-fiction, en passant par des hommages à des réalisateurs tels que Murnau, Méliès, Michael Powell ou encore Terry Gilliam. Cette diversité stylistique crée une expérience visuelle riche et immersive, bien que parfois déroutante. Le récit suit un personnage, interprété par Jackson Yee, qui est le dernier homme capable de rêver dans un monde ayant oublié cette pratique. Il incarne “l’homme-cinéma” ou le “rêveleur”, une figure immortelle et poétique. Shu Qi, quant à elle, joue une femme qui entre dans ses rêves faits de pellicules, nous guidant à travers cette exploration onirique.
La structure du film, proche du film à sketches, voire à “conte”, présente des récits qui s’enchaînent sans toujours offrir de résolution claire. Cette approche peut laisser certains spectateurs perplexes, voire frustrés, du fait également qu’il possède le même défaut que les autres films à sketch, des histoires moins intéressantes que d’autres et qui peuvent créer de légères longueurs dans le film. Malgré ces réserves, la virtuosité technique de Bi Gan est indéniable. Chaque histoire du film est tourné de façon différente mais toujours avec un travail du cadre et de la mise en scène véritablement époustouflant. Le film comporte notamment un plan-séquence de 30 minutes, tourné de nuit avec une précision remarquable, qui témoigne de l’ambition formelle du réalisateur. Au-delà de son esthétique, Résurrection propose une réflexion profonde sur le cinéma en tant que mémoire collective et individuelle. Le film explore comment les rêves et les récits peuvent réactiver les sens et les émotions, même dans un monde dévasté. Le film fait plusieurs fois référence au Bouddhisme et surtout au principe de la réincarnation.
Résurrection est une œuvre ambitieuse qui ne laisse pas indifférent. Si sa narration éclatée et son hermétisme peuvent rebuter, sa richesse visuelle et sa profondeur thématique en font une expérience cinématographique singulière. Bi Gan confirme ici son statut de cinéaste audacieux, prêt à repousser les limites du médium pour interroger notre rapport au rêve, à la mémoire et au cinéma lui-même.
Paolo-Henri Albertini.

Un long voyage vers la pluie. [contre]
À l’instar des précédents films de Bi Gan, « Résurrection » est une rêverie s’articulant autour de motifs poétiques aux inspirations diverses. Plus que jamais, le cinéaste cite ouvertement la série B, bouleverse nos repères et déploie son récit sur plusieurs strates. Il y a là du cinéma muet, des monstres de Frankenstein, des démons, du film-noir et même des vampires ! Bi Gan puise dans tout un folklore cinéphile, reproduisant par exemple la célèbre séquence des miroirs de « La Dame de Shanghai », les effets psychédéliques des réalisations de Segundo de Chomón, ou encore la texture performative de l’introduction de « Millennium Mambo » dans un plan séquence de plusieurs dizaines de minutes. Ce plan séquence est sans doute le segment le plus intéressant du film. Se déroulant pendant la nuit du passage à l’an 2000, il lie des ruelles pluvieuses à un bateau en passant par une boite de nuit, développant ainsi une trame similaire à celui de « Kaili Blues », premier long-métrage de Bi Gan. Sauf que dans « Résurrection », terminé les mouvements tremblants et les petites barques reflétant le charme de la bricole. C’est là un film bien produit, solidement exécuté, ne faisant pas mystère de ses grandes ambitions. Or, ce qui rendait le cinéma de Bi Gan si attrayant, c’était justement cette fragilité revendiquée, cette authenticité du décor, ces astuces visuelles pour créer un espace mental. Dépourvu de ces atouts, « Résurrection », plus confortable que ces prédécesseurs, n’a plus que l’allure boursouflée d’une bougie allumée sous le soleil.
Tout ce qui peut plaire dans ce film, qu’il s’agisse de sa logique formelle, son récit démentiel ou son profond désir de cinéma, on le retrouvait déjà dans les précédents films de Bi Gan, lesquels entretenaient la confusion dans leurs premières parties avant de dénouer leurs intrigues. Ici, la confusion est permanente, les personnages sont brumeux, le montage est impalpable et le scénario tortueux. Bi Gan est de ce ces cinéastes ne proposant pas une idée par film, mais bien une idée par plan, et il s’avère que « Résurrection » regorge d’idées consciencieuses sur la diffraction, sur la fragmentation des pensées, des mémoires, des rêves, des histoires et des époques. On pense beaucoup à un autre film chinois sorti il y a quelques mois, « Caught by the Tide » de Jia Zhang-ke, qui lui aussi restituait plusieurs époques de l’histoire de la Chine au sein d’un récit démantelé suivant les trajectoires désenchantées d’un homme et d’une femme. C’était là un film subjuguant pour son interprétation quasi documentaire de la société chinoise et son rythme poétique projetant son spectateur dans différentes temporalités. Et malgré son apparente complémentarité, la démarche de Bi Gan s’y oppose totalement, préfèrant une narration de conte pour laquelle il témoigne d’une formidable gloutonnerie. Il est dans la démonstration : on voit les gestes de collage, cet attrait pour la lumière, mais on passe presque trois heures à se demander où ça va si ce n’est pas sur une prose amèrement naïve et banale. Le film se lie notamment au motif de la bougie, explicitant l’idée que lorsque la flamme s’éteindra on deviendra tous des fantômes, un peu comme dans « Nostalghia » de Tarkovski où un homme doit conserver une flamme pour éviter la fin du monde. Dans l’horizon de « Résurrection », il n’y a un bric-à-brac poétique et mystique que l’on ne sait comment recevoir tant il est vaste et tant il évacue toute thématique claire, et cela ne serait pas dérangeant si le film n’avait pas la prétention de déployer tous les possibles du cinéma, s’il n’était pas visuellement écrasant et narrativement pontifiant. Même lorsqu’il s’essaye à la légèreté entre le karaoké et les pets, il dégage une lourdeur forcée appréhendant un réalisateur/scénariste en roue libre cherchant une simplicité élémentaire pour ne parvenir qu’à un mur emberlificoteur. Bref, comme tous les poètes dignes de ce nom, l’embourgeoisement va très mal à Bi Gan, lequel commence à prendre les allures pédantes d’un nouveau Wong Kar-Wai : de l’art, et rien d’autre que de l’art jusqu’à ce que ça devienne copieux comme du lard. Loin l’idée de reprocher à ce formidable cinéaste d’évoluer, mais face à « Résurrection », on ne peut que céder à la contrariété. Car ce film, malgré ses excès, n’apporte rien, ni à son auteur ni à son public, si ce n’est une craintive saveur de cire.
Boyen LaBuée.

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